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Nouvelles révélations dans l'affaire des bagagistes de Roissy
Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne auraient exigé un niveau de sécurité plus important sur la France.
D'après l'Union des associations musulmanes de Seine Saint Denis, le
Préfet Jean-François Cordet, qui avait dépossédé au moins soixante dix
employés aéroportuaires de leurs badges, aurait avoué avoir subi « des
pression politiques ».
L'aéroport Roissy Charles de Gaulle.
Rien ne va plus dans l'affaire des bagagistes de Roissy. Les quelques
soixante dix employés de l'aéroport Charles de Gaulle, qui se sont vus
retirer leurs badges professionnels pour raisons de sécurité, auraient
été victimes de pressions politiques américano-britanniques sur le
gouvernement français. Cette information, qui nous a été révélée par les
responsables de l'Union des associations musulmanes de Seine Saint
Denis, viendrait de la bouche même du Préfet.
Invité à un repas par les responsables
de l'UAM 93, il y a de cela dix jours, Jean-François Cordet aurait
évoqué avoir subi des pressions. "Le
Préfet nous a révélé qu'il n'agissait pas de son propre chef et que la
France aurait subie des pressions de la part des Etats-Unis et de
l'Angleterre sur son niveau de sécurité aéroportuaire", nous ont révélé Fayçal Ménia et M'hammed Henniche, respectivement président et secrétaire général de l'UAM 93.
Nous avons contacté Antoine Garapon, secrétaire général de l'Institut
des hautes études sur la justice et spécialiste des dispositifs
antiterroristes français et américain, sur la crédibilité de cette
information. D'après lui, « cette information est crédible ». "Les
Etats-Unis ont étendu leur sécurité à tous les points de départs vers
leur direction, les ports et les aéroports. Cela traduit de leur part
un changement de logique. Dorénavant, on n'est plus dans une
perspective de répression mais de prévention du terrorisme. Un simple
risque peut justifier une mise à l'écart".
Des pressions gouvernementales
Selon ces révélations, le Préfet exécuterait donc des directives venant de plus haut.
Faut-il, dès lors, rapprocher ces informations des propos du ministre
de l'intérieur Nicolas Sarkozy, qui avait déclaré le 21 octobre, à la
Sorbonne : "Moi,
je ne peux pas accepter que des gens qui ont une pratique radicale
travaillent sur une plateforme aéroportuaire". "Je préfère qu'on ait le
risque d'un contentieux devant un tribunal parce qu'on a été trop
sévère pour une habilitation plutôt qu'on se retrouve avec un drame
parce qu'on n'a pas été assez sévère. Tous les pays au monde font
cela." "Si ces gens pensent, et c'est leur droit, qu'on a été trop loin
et qu'ils sont victimes de discrimination, qu'ils fassent valoir leurs
droits devant les tribunaux".
On
peut s'interroger, en effet, sur les véritables raisons de cette mise à
l'écart massive d'employés pour la plupart en très bon terme avec leurs
employeurs.
Le Préfet, qui avait signé, le 12
avril dernier, un courrier type envoyé à plusieurs dizaines d'employés
de confession musulmane, leur reprochant d'avoir « une attitude pouvant
mettre en cause la sûreté de l'Etat », sans jamais préciser de quelle
attitude il s'agissait, aurait également mis en avant le rôle des
Renseignements généraux dans cette affaire. "Le
Préfet nous a avoué qu'il n'avait pas pris en compte un nombre beaucoup
plus important de rapports des renseignements généraux qui
recommandaient le retrait de badges d'employés en plus grande quantité", nous précise M'hammed Henniche.
Concernant les raisons de ces exclusions professionnelles, les
autorités concernées certifient que la pratique religieuse n'a pas été
un argument pour le retrait des badges. Le sous-préfet Jacques Lebrot
avait d'ailleurs déclaré, à la presse, que certains éléments avaient
séjournés dans des camps d'entraînement. "Pour nous, quelqu'un qui va passer des vacances plusieurs fois au Pakistan, cela nous pose des questions".
« Faites-vous la bise aux femmes »
Nicolas Sarkozy venu rassurer ses compatriotes sur la sécurité de l'aéroport.
Pour Samy Debbah du Collectif contre l'islamophobie en France, qui a
dévoilé toute cette affaire, ces explications ne tiennent pas la route.
"Les
éléments qu'on a vont en totale contradiction avec ces déclarations.
Les employés ont été exclusivement interrogés sur leur pratique
religieuse avec une trame de questions comme : Faîtes-vous la prière ?
Combien fois par semaine allez-vous à la mosquée ? Avez-vous déjà fait
le pèlerinage ?".
Nous avons
appelé deux des employés convoqués par la Préfecture, pour en savoir
plus. L'un d'eux, Karim, délégué de la CGT, nous raconte son
interrogatoire. "Ils
m'ont convoqué à la fin de mon service de nuit, après deux heures
seulement de sommeil. Ils m'ont demandé quel lien j'avais avec l'islam,
avec le Tabligh (NDLR : mouvement islamique de prédication,
d'inspiration piétiste), le salafisme (NDLR : courant traditionaliste
et littéraliste de l'islam) et quel rapport j'entretenais avec les
membres de ma famille. Ils m'ont aussi demandé si ma femme était
musulmane, si j'allais à la mosquée et quelle serait ma réaction si on
me demandait d'accomplir un acte de malveillance. Je leur ai dit que je
n'étais pas manipulable et lorsque je leur ai demandé ce qu'ils me
reprochaient, ils m'ont répondu au conditionnel, qu'ils interrogeaient
toutes les personnes potentiellement dangereuses".
Le témoignage de Mohamed, agent d'escale pour la société Penauille
service air, va dans le même sens. « J'ai été convoqué. Je me suis fait
accompagné d'un témoin et à mon arrivée, je leur ai demandé la raison
de cette convocation. Il y avait trois personnes, dont l'assistant du
Préfet et deux autres hommes dont je pense qu'il font partie des
renseignements généraux. Lorsque je leur ai posé cette question,
l'assistant du préfet a eu l'air gêné et, après avoir toussoté, m'a dit
: « En fait, nous allons aborder le thème religieux ». Il m'a demandé :
« Est-ce que vous faîtes la prière ? ». Je lui ai répondu oui. La
faites-vous à la mosquée ? Oui, comme les juifs à la synagogue et les
chrétiens à l'Eglise. Avez-vous fait votre pèlerinage ? Oui, cela fait
partie du cinquième pilier de l'islam. Où cela, m'a-t-il demandé ? A la
Mecque et Médine, lui ai-je répondu, surpris qu'il l'ignore.
Il m'a aussi demandé si cela me
dérangerait de raser ma barbe, de faire la bise aux femmes et ce que je
pensais du salafisme. Je lui ai dis que je travaillais avec des femmes,
des homosexuels ou des athées, que je m'entendais très bien avec mes
collègues, que je ne me suis jamais absenté, même malade et que je
n'avais jamais eu de problème avec ma direction. Peu de temps après cet
entretien, je recevais un courrier qui m'indiquait que ma prestation
n'avait pas convaincu, que je n'étais pas « insusceptible » de porter
atteinte à la sûreté aéroportuaire et que je présentais un danger
significatif pour eux. Ils m'ont ainsi retiré mon badge ».
Un flou juridique
Au sujet des trois employés suspectés de terrorisme pour des voyages au
Pakistan, aucun élément tangible ne permettrait d'établir un lien entre
eux et des mouvements radicaux. C'est l'avis du président du CCIF. "Sur
les trois cas qui sont allés au Pakistan, j'en connais deux qui font
partie du Tabligh et qui sont parties dans ce cadre. Je peux vous dire
qu'ils n'ont pas été du tout dans ces fameux camps. Et, d'ailleurs,
qu'est-ce qu'on fait des soixante sept autres employés !".
Samy Debbah accuse la préfecture d'avoir un double langage. "Ils
nous ont dit ne pas connaître le Tabligh, et pourtant, sur la base d'un
rapport de la Gendarmerie des transports aériens, qui est une officine
des mouvements de sécurité, ils l'accusent d'être un groupe dangereux".
Le responsable du CCIF dénonce également une criminalisation de la
pratique religieuse et parle de volonté de nuisance, à l'œuvre, dans
cette affaire. "Notre
Collectif reçoit de plus en plus de dossiers sur des cas de préjudices
économiques. Il y a une volonté réelle d'asphyxier la communauté
musulmane. Après le hijab et les commerçants, c'est au tour des
salariés de la subir".
Depuis leur
mise à l'écart, en septembre, les agents de Roissy sont sans revenus.
Privés de leurs badges, mais non licenciés, ils ne peuvent prétendre à
des indemnités chômage, ce qui les place dans une situation doublement
inconfortable financièrement et juridiquement. Des procédures en référé
ont déjà été déposées.
Mais les agents de Roissy n'ont pas
que des ennemis dans cette affaire. Une réunion organisée par le MRAP
et quelques syndicats va décider, aujourd'hui, des recours et de la
marche à suivre pour les employés de l'aéroport Charles de Gaulle. Même
chose pour le CFCM qui va interpeller le préfet et promet de tirer
cette affaire au clair. Autant dire que l'affaire des bagagistes de
Roissy n'est pas terminée. Elle ne fait que commencer…
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