Mouvement pour une Organisation Mondiale de l'Agriculture
momagri est un think tank présidé par Pierre Pagesse,  qui rassemble des responsables du monde agricole
et des personnalités d’horizons extérieurs (santé, développement, stratégie et défense,…).
Son objectif est de promouvoir une régulation des marchés agricoles en créant de nouveaux outils d’évaluation
(modèle économique, indicateurs,…) et en formulant des propositions pour une politique
agricole et alimentaire internationale.
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L’exode rural : un défi posé aux pays en développement


Après les pays occidentaux, l’exode rural affecte aujourd’hui les pays en voie de développement : il y provoque de profonds bouleversements économiques, sociaux et culturels.
La libéralisation non régulée des échanges agricoles internationaux exacerbe cette tendance, en forçant les pays en développement à gérer une situation inextricable qui devient un obstacle supplémentaire au développement.
Ce phénomène illustre une nouvelle fois la nécessité de replacer l’agriculture au centre de la stratégie mondiale de lutte contre la pauvreté.



L’exode rural, considéré comme le dépeuplement des campagnes et l’abandon des métiers liés à la terre, est une question d’envergure mondiale particulièrement actuelle : en 2007 et pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la population des villes a dépassé celle des campagnes. Dans une étude rendue publique en juin 2006, la FAO évaluait à 800 millions le nombre de personnes ayant abandonné les campagnes pour les villes, lors des 50 dernières années.

Plus encore, la question du départ des paysans vers les villes est ressentie avec une grande acuité en raison du développement urbain extraordinaire dans certains pays en voie de développement (PED) ou en transition, en Afrique et en Asie principalement.

Si des pays comme les Etats-Unis, la Chine ou le Niger connaissent un exode rural, les enjeux sont radicalement différents : le phénomène à l’œuvre dans les PED correspond à des situations économiques et sociales particulières et le distingue de celui qui a marqué (ou marque encore) les pays riches occidentaux. Les conséquences économiques, sociales et sanitaires sont d’une gravité telle qu’elles remettent fondamentalement en cause les perspectives de développement de ces pays.

I. Les deux visages de l’exode rural

Les différences entre le processus de dépeuplement des campagnes observé en Europe occidentale et dans les PED sont telles qu’il est possible de mettre en avant deux modèles aux caractéristiques propres.

Les pays européens. Le dépeuplement des campagnes au profit des villes s’est déroulé de façon progressive en Europe occidentale sous l’effet des révolutions industrielles à partir du XIXème pour l’Angleterre et au cours de la seconde moitié du siècle suivant pour des pays comme la France. Dans ce cas précis, l’exode rural correspond à une période de forte modernisation des exploitations : dans les années 1950 et 1960, la productivité y augmente à un rythme annuel de près de 7 %, libérant ainsi de la main d’ouvre au profit de l’industrie et des activités tertiaires, en fort développement.

Cette évolution se poursuit même tout au long de la seconde moitié du siècle dernier : entre 1970 et 1999, la part de l’agriculture dans l’emploi total est divisée par 3 et passe de 10,38 à 3,31 % en moyenne pour les six pays fondateurs de la Communauté économique européenne1.

Les pays en voie de développement. Il en va tout autrement de l’exode rural qui redessine en profondeur la répartition de la population d’un grand nombre de ces pays. La forte concurrence des agricultures plus compétitives et la volatilité des prix, l’absence de modernisation des exploitations et la dégradation de l’environnement chassent des millions de paysans pauvres vers les villes, à la recherche de conditions de vie moins défavorables.

Les phénomènes migratoires ainsi engendrés sont complexes dans la mesure où les migrants internes à leur pays sont 7 fois plus nombreux que les expatriés. Ceux-ci partent de préférence dans un pays limitrophe. D’autres, enfin, tentent d’atteindre l’Amérique du Nord ou l’Union européenne.

Le processus de modernisation de l’agriculture caractérisant la seconde moitié du XXè siècle (mécanisation, utilisation d’engrais, sélection des variétés et des espèces) n’a pas atteint l’ensemble des agriculteurs de la planète, loin s’en faut. Près d’un tiers d’entre eux dispose toujours d’un outillage strictement manuel, n’utilise ni engrais ni produit de traitement et cultive des variétés ou élève des espèces n’ayant fait l’objet d’aucune sélection.

II. Une agriculture « traditionnelle » fragilisée par la libéralisation des échanges et la dégradation de l’environnement

L’exode rural à l’œuvre dans les PED témoigne d’un affaiblissement de l’agriculture face à des causes économiques et environnementales.

Les facteurs commerciaux. L’évolution à la baisse des prix agricoles internationaux dans un contexte de forte volatilité des prix et la forte concurrence des grandes puissances agricoles très compétitives sur les marchés mondiaux privent la majorité des agriculteurs des PED de la possibilité de renouveler leurs moyens de production et de conserver leurs parts de marché.

Faute de pouvoir vivre dignement de leur travail (voire même d’en tirer une rémunération suffisante pour assurer leur subsistance) le départ vers la ville apparaît comme inéluctable.

Les facteurs environnementaux. La désertification contribue également à l’exode rural. Définie par les Nations Unies comme la « dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches à cause de facteurs variés tels que les variations climatiques et les activités humaines », elle est largement répandue sur l’ensemble des continents, mais frappe plus durement l’Afrique et l’Asie. Quelques données permettent de saisir l’ampleur et la gravité du phénomène :

> Il concerne directement près de 480 millions de personnes et en menace près d’un milliard d’individus à travers le monde ;
> 3,6 milliards d’hectares de terres arides sont touchées par la désertification et chaque année (la surface agricole avoisine les 180 millions d’hectares), près de 10 millions d’hectares supplémentaires sont dégradés ;
> 50 milliards de dollars sont perdus chaque année (perte de récolte en équivalent céréales) du fait de la dégradation des terres. Le commerce international de produits agricoles (importations et exportations confondues) a atteint 135 milliards de dollars en 2005. L’essentiel des pertes est concentré dans les PED où l’élevage et les activités agricoles occupent une place prépondérante.

III. Des conséquences dramatiques

Les répercussions de l’exode rural sont extrêmement lourdes pour les pays touchés et pourraient bouleverser l’existence quotidienne de l’ensemble de leur population.

L’émergence de mégapoles. La combinaison de ces deux facteurs participe au développement d’une urbanisation intense et incontrôlée, principalement dans les PED. Par exemple, la ville de Lagos au Nigeria devrait dépasser les 17 millions d’habitants en 2015, alors qu’elle n’accueillait que 288 000 personnes en 1950. Dans le même temps, la population de Bombay (Inde) devrait être multipliée par 10 (22,6 millions contre 2,3 millions).

De tels flux migratoires rendent quasi impossible la réalisation des aménagements nécessaires à l’accueil de ces populations : en conséquence, les bidonvilles constituent la majorité de la croissance urbaine des villes du Sud. La population de ces quartiers très défavorisés représente plus de 80 % de la population urbaine totale en Afrique subsaharienne et plus de 75 % en Asie du Sud.

Plus encore, cet exode rural ne procède pas d’un appel de main d’œuvre dans l’industrie ou encore dans les services. Ces agglomérations gigantesques connaissent ainsi des taux de chômage très élevés, souffrent de conditions sanitaires dramatiques et d’autres maux comme l’essor de la criminalité.

Une déstructuration grave du potentiel de production. Ces départs pléthoriques pourraient fragiliser les équilibres vivriers dans la mesure où l’accroissement considérable du nombre de consommateurs urbains ponctionne une part importante des forces vives de l’agriculture, sans véritable contrepartie : En Afrique subsaharienne, un travail manuel souvent exténuent s’efforce de compenser la très faible technicité de l’agriculture ; elle pâtit donc de ce manque de main d’œuvre soumis à l’exode. L’amélioration de la capacité d’importations alimentaires n’est guère envisageable, considérant la faiblesse du secteur industriel d’exportation de la plupart des pays de cette région d’Afrique.

La libéralisation des marchés agricoles prônée par l’OMC contraint, en outre, les PED à accomplir une transition totalement précipitée qu’il convient de mettre en perspective avec l’évolution très progressive des pays riches. En l’absence de mécanismes d’accompagnement et de moyens financiers suffisants, ils pourront difficilement atteindre les objectifs du cycle de Doha, pourtant considéré comme le cycle du développement.




L’exode rural est toujours un déchirement pour ceux dont le travail ne suffit plus à assurer la subsistance. Il constitue également un problème majeur dans les PED dans la mesure où il favorise l’émergence de situations économique et sociale dramatiques.

Mais des solutions existent comme l’a montré l’exemple du Chili, avec la promotion de cultures fruitières et d’entreprises orientées vers l’exportation ou encore celui du Ghana, où le dynamisme de la culture du cacao a entraîné le retour de deux millions de Ghanéens qui avaient émigré au Nigeria.

En définitive, le moyen le plus sûr pour favoriser le maintien des paysans sur leurs terres et d’atténuer la pression sur les centres urbains est d’intensifier l’investissement dans l’agriculture : des études récentes exposent clairement l’efficacité supérieure de l’agriculture dans la réduction de la pauvreté, en comparaison des autres secteurs économiques. Son rôle est également essentiel en termes de sécurité alimentaire et de répartition de la population dans la mesure où l’agriculture emploie plus des 2/3 de la main d’œuvre dans les pays concernés.

La récente reconnaissance par la Banque Mondiale2 du rôle moteur de l’agriculture dans la lutte contre la pauvreté est un signe encourageant et conforte l’initiative du MOMA de promouvoir une régulation mondiale de l’agriculture et des échanges agricoles. Le Modèle NRA mesurera l’impact réel de la libéralisation en prenant en compte les effets sur la réduction de la pauvreté et le développement durable. L’Agence de notation NRA alertera les décideurs publics internationaux sur les dangers que font peser certaines politiques agricoles sur l’environnement ou sur la sécurité alimentaire.

Ce dispositif permettra de réunir les conditions d’émergence d’une coopération internationale de l’agriculture afin que tous les paysans puissent vivre de leur travail, dans le respect des normes sociales et environnementales, tout en garantissant la sécurité alimentaire. C’est de cette manière que l’on pourra mieux apprécier comment orienter les choix internationaux pour trouver le bon équilibre entre liberté des échanges et aide au développement, afin que, loin de déstabiliser encore plus les pays pauvres, on parvienne enfin à redonner le dynamisme nécessaire à leur agriculture.


Jérémie Bianco

1 La baisse de l’emploi agricole dans ces pays s’est encore accentuée pour atteindre 2,98 % en 2005.
2 Voir le Rapport annuel sur le développement dont la parution est prévue pour le mois de septembre 2007.
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Pour une régulation
des marchés agricoles
et une gouvernance
alimentaire mondiale
Paris, le lundi 15 octobre 2012