En couverture / Ici Kaboul : La presse afghane témoigne
Toute une société dans le chaos
Corruption,
violences et trafics en tout genre… Depuis le départ des talibans, le
pays connaît les mêmes maux et ne semble pas en mesure de les soigner.
Kaboul, septembre 2005. Sur le marché aux animaux, des adolescents s’amusent avec un téléphone portable D.Butow / Redux-REA
Les talibans vont revenir et reprendre le pouvoir. Ce gouvernement n’a rien fait depuis cinq ans”,
lâche d’un souffle, le front plissé, Mohammad Anwar, responsable d’une
organisation internationale implantée à Kaboul. Il attaque le
gouvernement et la politique du président Hamid Karzai, en mettant dans
le même sac l’ensemble de la classe politique. “Si les dirigeants
s’étaient réunis pour discuter dans une salle de village, les jeunes
auraient-ils eu vraiment besoin de faire parler les armes ?” lance-t-il.
Certains chercheurs estiment qu’un grand nombre de lettrés et de hauts
diplômés afghans n’ont pas une grande opinion de leur pays, déplorant
qu’on ne leur ait encore confié aucun poste. Voilà pourquoi ils
préfèrent se taire plutôt qu’aborder les affaires courantes de l’Etat.
J’ai eu beau chercher à les faire réagir, cela n’a rien changé. La
population, quant à elle, est malheureuse puisque son sort ne s’est pas
amélioré. “Je
ne peux pas tolérer qu’un homme qui hier n’avait pas un afghani en
poche possède aujourd’hui de grandes demeures à Kaboul et dans d’autres
régions alors que moi, qui ai enseigné de nombreuses années à
l’université, je suis resté locataire. Comment voulez-vous que l’ordre
soit totalement rétabli ici quand en quelques mois ces gens deviennent
propriétaires de villas ?” s’insurge un professeur de l’université
de Kaboul qui veut conserver l’anonymat. Le fossé entre riches et
pauvres n’a en effet jamais été aussi grand. On n’avait jamais vu,
avant la guerre civile [1992-2001], de telles disparités de revenus.
Elles sont flagrantes aujourd’hui, quand, d’un côté, une poignée de
personnes dépensent si vite leur argent qu’il semble s’évaporer de leur
compte en banque et que, de l’autre, un grand nombre d’Afghans se
couchent le ventre vide.
Après la conférence de Bonn, qui a eu lieu en décembre 2001,
l’Alliance du Nord [une coalition antitalibans] a pris une place trop
importante au gouvernement, ouvrant ainsi la voie aux talibans d’hier
et à ceux qui les ont rejoints depuis. Les nouveaux hommes au pouvoir
se sont aussi aliéné les mollahs et les étudiants dans les mosquées.
Depuis 2001, les fidèles de milliers de mosquées se sont donc employés
à prêcher contre le gouvernement, et les clans [qui assurent une forme
de contrôle social] n’ont pas assumé leurs responsabilités, nourrissant
au contraire le mécontentement. Dans de nombreuses sous-préfectures et
chefs-lieux de province, on ne fait désormais plus la prière du
vendredi, car, dit-on, ce gouvernement n’est pas islamique.
“Pour la prière du vendredi, il faut un gouvernement islamique et
l’application de la charia. Ici, comme il n’existe pas d’autorité
islamique et pas d’application de la charia, les conditions pour la
prière du vendredi ne sont pas réunies et on ne la fait pas.” C’est
en ces termes que Maulawi Mohammad Sharif Akhunzadah s’adressait aux
fidèles de sa mosquée dans la sous-préfecture d’Andarr, située dans la
province de Ghazni. Le gouvernement n’a pas prêté attention à cette
question. Les gouverneurs de province, les sous-préfets et les autres
autorités ne sont pas allés dans les lieux de culte se mêler à la
population, faire la prière, discuter avec les gens de l’avenir, de la
paix et de la préservation du pays.
Par ailleurs, l’Etat afghan a bénéficié d’une aide massive de la
part de la communauté internationale au cours des cinq dernières
années. Une nouvelle monnaie a fait son apparition, l’inflation a
diminué tandis que la valeur de l’afghani a progressé. Pendant la
guerre civile, la plupart des biens publics ont été pillés et détruits.
Même les tables, les chaises et le petit mobilier ont été volés.
Aujourd’hui, les fonctionnaires ont 90 % de ce mobilier remplacé. “De
nombreuses routes ont été refaites. Des ponts et des tunnels ont été
reconstruits. En dehors de la route Kaboul-Kandahar, dont on parle
toujours aux informations, d’autres infrastructures comme l’autoroute
et le tunnel de Salang [voie qui mène de Kaboul au nord, à Mazar-e
Sharif notamment], la route Kaboul-Torkham [qui relie Kaboul à la
frontière pakistanaise et à Peshawar], Kandahar-Spin Boldak [qui mène
vers la frontière pakistanaise et Quetta] sont redevenues praticables”, explique Nur Ali Ahmadzay, un habitant de Ghazni âgé de 27 ans.
La
production d’opium en Afghanistan a progressé de 49 % depuis le
début de 2006 pour atteindre 6 100 tonnes, soit 92 % de la
production mondiale, affirme l’Office des Nations unies contre la
drogue et le crime. En revanche, l’organisation internationale constate
que la culture du pavot est en voie d’éradication dans le Triangle d’or
(Laos, Myanmar et Thaïlande), après avoir enregistré une chute de
29 % cette année.
ISAF
La
Force internationale d’assistance à la sécurité en Afghanistan (ISAF)
ne dispose pas d’un nombre suffisant d’hommes pour parvenir à une
stabilisation rapide du pays, a estimé, le 31 octobre, son commandant,
le général David Richards, à Kaboul. Il est important d’apporter des
améliorations significatives à la sécurité des Afghans afin que ces
derniers continuent à faire confiance aux troupes internationales,
a-t-il ajouté. L’ISAF compte actuellement 31 000 hommes.