Délocalisation

Madeleine Melquiond

 

Assise au soleil sur le banc du jardin, Gloria songea que trois mois, ce n’est pas très long. Elle aurait voulu abriter sa maison sous une cloche de verre. Mais les jeux étaient faits. Elle  se leva et entra.

Elle commença par le linge et les vêtements. Elle fit deux piles, une pour là-bas, l’autre pour la Croix-Rouge. Elle caressait les étoffes. C’était presque indolore, une simple égratignure. Puis elle tria les livres. Les ouvrages rejetés hurlaient de douleur et de rage. Kevin revint de l’école. Il vit les livres éparpillés. Miracle de l’enfance, il n’entendit pas les cris.

«  C’est long, trois mois »,  interrogea-t-il ? « C’est comme entre les vacances de Noël et celles de Pâques. L’enfant parut rassuré.

À dix-neuf heures, Pavel arriva. Il pensait à l’autre travail, là-bas. Il parlait peu.

Tout avait été dit.

Les tris achevés, la mère remplit les cartons. Semaine après semaine, elle pliait, protégeait, entourait de bandelettes en kraft collant. Elle sauvait parfois une babiole de l’ensevelissement.

Les meubles se vidaient. Les assiettes au liseré doré, les verres en cristal de Bohème  étaient arrachés aux étagères. Gloria entendait crier le vieux bois comme un animal dont on vidait les entrailles. Le scotch muselait les protestations des objets enterrés vivants.

Quand elle eut fini, la maison lui parut peuplée de momies. Momies d’armoires, de buffets, de placards, éviscérés, aux orbites creuses. Pourtant ils ne tombèrent pas en poussière lorsque les déménageurs les mirent dans le camion. Gloria en conçut une lueur d’espérance.

Pavel reçut son chèque. Il partit dans l’autre pays  préparer la nouvelle maison. Il emmena Kevin « car c’était un petit homme qui devait aider son papa ». Gloria resta une semaine pour accomplir les ultimes démarches : couper le téléphone, résilier les contrats d’eau et d’électricité, faire suivre le courrier.  Le soir venu, elle se reposait sur le banc. Elle sentait dans son dos la maison vide, comme un tombeau pillé.  Elle contemplait le lilas en fleurs.. Les voisins se terraient. Ils ne redoutaient que trop de devoir, eux aussi, quitter leur petit jardin et leur maisonnette.

Un lundi, elle boucla sa valise. Elle enleva la pancarte « à vendre », puis se ravisa. « Ce n’est pas à moi de faire ça ». Elle ne ferma pas la porte à clé. Elle démarra, parcourut sa rue à faible allure fit de l’essence à la pompe du coin. Elle prit la rocade à gauche et accéléra.