a existe, ces choses-lˆ Genevive AlmŽras

 

– Et les lutins, vous les voyez ? 

– Les lutins ?

– Oui, lˆ, ˆ ma droite.

– Non, pas de lutin.

– Encore ! Vous vous rendez compte ? CĠest insensŽ ! Moi non plus je ne croyais pas que cĠŽtait possible ! Pourtant ils sont lˆ, encore une fois. On ne croirait pas que a existe, ces choses-lˆ, vous tes dĠaccord ? Et pourtant, si, la preuve.

JĠopine de la tte machinalement, mĠinterrogeant sur la notion de preuve en la matire et oubliant quĠˆ cette distance, elle ne peut distinguer mon geste – ni mon sourire : elle fait mine de quitter son fauteuil et cĠest elle qui, petite femme frle aux gestes discordants et ˆ la voix flutŽe, a lĠair dĠun lutin. Un lutin bavard, car ˆ nouveau, elle Žvoque son amie dĠenfance et lĠŽpoque o toutes deux riaient de la grandĠmre de celle-ci ˆ cause des petits cris quĠelle poussait rŽgulirement : 

– Elle voyait des rats, mĠexplique-t-elle, des rats qui passaient entre ses jambes et quĠelle souponnait de nicher sous son fauteuil. Et nous, les gosses, on riait.

En une semaine de cohabitation, nous avons eu cet Žchange plusieurs fois et ˆ prŽsent je rŽponds sans ciller.

 

La premire fois, nous papotions dĠun lit ˆ lĠautre, dans cette chambre dĠinfortune qui nous rŽunit ; au cours de cette conversation, certes futile mais parfaitement sensŽe, elle sĠest soudain interrompue pour fixer le mur – un mur gris, sans autre dŽcoration quĠune tŽlŽvision et sa prise Žlectrique, un mur de chambre dĠh™pital ordinaire – et a dit :

– Bonjour mesdames, peut-on savoir ce qui vous amne ?

Je suis restŽe interloquŽe et silencieuse, dans lĠattente de la suite. Elle sĠest tournŽe dans ma direction et, sĠadressant ˆ moi : 

– Ces dames ne rŽpondent pas. Vous savez, vous, pourquoi elles sont lˆ ?

Et jĠai balbutiŽ que je ne voyais personneÉ 

Elle a alors ŽvoquŽ son amie. Elle avait de la peine, non pas tant au souvenir de sĠtre moquŽ dĠune vieille dame quĠˆ la pensŽe que son amie ne saurait jamais que Ç a existe, ces choses-lˆ È : elle lĠa perdue il y a plusieurs annŽes, ˆ lĠapproche de ses 90 ans.

 

Le lendemain, le mŽdecin a rŽpondu ˆ ma question : cĠŽtait un phŽnomne normal et provisoire, qui durerait le temps quĠelle sĠaccoutume au nouveau dosage du mŽdicament quĠelle prend pour ses problmes cŽrŽbraux – celui quĠon vient de me prescrire, ce matin mme.

 

Septembre 2010